L’art n’est rien, mais rien ne vaut l’art
Permettez, cher public, que l’on partage ici une expérience de lecture. Dans son livre Marcher jusqu’au soir, l’écrivaine Lydie Salvayre fait le récit de son enfermement volontaire, toute une nuit, dans le musée Picasso à Paris, au pied de la sculpture de Giacometti L’homme qui marche. Or, dans le voisinage durable et exclusif du chef-d’œuvre, elle enrage de ne rien ressentir.
Fille d’immigrés de la guerre d’Espagne, celle qui est aujourd’hui une autrice française reconnue inaugure son roman par une saine colère contre une culture obligatoire, élitiste, détachée de nos corps et réservée à quelques un·es. Dans son introspection nocturne, elle convoque la vie de l’artiste Giacometti, dont les œuvres sont aujourd’hui mondialement reconnues et qui, toute sa carrière, a peint et vécu « en pauvre », sauvant et dérobant ses œuvres à la destruction de la guerre. Elle décèle dans sa sculpture la marque d’un être dépouillé et entêté à vivre, fragile dans sa condition humaine. À l’heure qui est la nôtre, comment ne pas se sentir aux prises avec la fragilité de notre destin collectif ?
Comme Lydie Salvayre, la fréquentation des œuvres d’art nous place au carrefour d’un avenir qui nous regarde, des enseignements du passé et du présent dont nous devons nous saisir.
Dans un précédent roman, l’autrice nouait un dialogue avec l’auteur Georges Bernanos, au sujet de la violence de la guerre d’Espagne. Lui, dans Les grands cimetières sous la Lune, écrivait :
L’homme de ce temps a le cœur dur (on pense aux absences de réaction devant les souffrances dans certaines parties du monde, ou parfois dans nos rues) et la tripe sensible (on pense aux réactions devant une photo, devant le malheur des animaux). Comme après le déluge, la terre appartiendra peut-être demain aux monstres mous.
Alors, voilà, on se risque à une réponse parmi d’autres possibles : notre époque est faite de monstres mous, et de monstres durs ; ils rendent notre air irrespirable et voudraient bien nous voir nous asphyxier. Mais devant eux, il y a une myriade d’ouvrier·es du commun, dont la décision quotidienne, engagée, volontaire, politique et pas moins vulnérable, est fondamentalement de prendre soin du monde contre les vents dominants.
Lydie Salvayre, au premier temps de son écriture, envoie une version à Jacques Rancière, qui lui répond : Être seule au musée, c’est un piège. Ce qui semble être un luxe, est un piège. Au musée, comme ailleurs, on a besoin des autres.
Dès lors, on vous propose de marcher avec nous dans la programmation de cette nouvelle édition, le nez en l’air, les yeux et les oreilles seulement avides de se tailler un chemin à travers les mots, les sons, les gestes et les paysages.
Comme de coutume les surprises ne manquent pas entre deux bornes festives, soit un bal très balkanique pour ouvrir et une autre grande soirée sur les rives du lac pour refermer. Rien ne vous sera épargné : des (vrais) moutons dans une (vraie) bergerie, un jongleur et une violoncelliste sur une balançoire, l’Occitanie en musique et en mots, Ravel sous toutes les coutures, de la musique d’avant-hier à demain, un lamantin, une plongée littérale dans un piano, une nuit dans les étoiles, un percussionniste fantasque, un autre violoncelliste tout aussi étonnant, une troupe de théâtre qui ne tient pas en « place », une caravane, un quatuor jouant avec une église, et du chant, du chant et encore du chant. Enjoy !
Cette édition est dédiée à la mémoire de Francis Ampe et à son précieux engagement pour le festival.